Une route de terre et de pierre se dessine dans un paysage couleur ocre. Sur la plaine entourée de montagnes, la campagne aride s’étend à perte de vue. Un petit bâtiment se détache en contrebas. Dans la cour, des enfants sont regroupés et attendent immobiles.

Un grincement, proche du son d’une petite poulie, est audible. Sur le mat placé au centre de la cour, un enfant hisse un drapeau. L’ensemble de ses camardes commence à chanter. On reconnaît l’air et les paroles de la chanson « Aurora », « Cancion a la Bandera »[1]. Tournée en 2006 au nord-ouest de l’Argentine, dans la région de l’altiplano, cette séquence du film documentaire Aislado[2] montre la scène quotidienne du lever de drapeau, que les élèves et les professeurs effectuent chaque jour dans toutes les écoles du pays.

AISLADO film documentaire de  Luba Vink, France 2009, 34 minutes, digital vidéo

C’est en 1945 qu’un décret du pouvoir exécutif  fait entrer Aurora dans le répertoire des chansons patriotiques du pays. Cette chanson fait d’abord partie du livret d’un opéra argentin composé en 1908. A l’origine écrit en italien, une représentation de cet opéra est donnée en langue espagnole en 1945. Chantée à la fin de l’acte deux, dans un intermède musical épique, la version traduite de la chanson Aurora rencontre un très grand succès qui motive les autorités à en faire la Cancion a la Bandera.

Je présenterai dans un premier temps l’Opéra Aurora et la Cancion a la bandera dans le contexte historique de leur création. L’étape de composition de l’opéra commandé en 1908, puis la catégorisation comme chanson patriotique de la version espagnole de Aurora en 1945, sont liées à une volonté politique d’exprimer des idéaux patriotiques. L’argument de l’Opéra écrit en italien se situe en Argentine. L’histoire des personnages principaux, pris dans une intrigue passionnelle, s’inscrit dans le contexte historique des luttes pour l’indépendance. Dans quelle mesure le changement de catégorie  musicale s’accompagne d’un glissement : de la création de mythes à travers la musique vers l’utilisation du pouvoir symbolique du texte et de la musique ?

Je souhaite aborder dans un second temps les dimensions de pratique et de rituel qui accompagnent l’usage de la chanson dans l’hommage rendu au drapeau national argentin. Le terme même de chanson patriotique semble programmatique : susciter et exprimer le sentiment patriotique. Dans quelle mesure l’usage de la musique, ici de la chanson Aurora, peut participer à la construction du patriotisme tel que le définit Anne-Marie Losonczy  :  « un mode collectif d’attachement et de solidarité teinté d’émotion, rapporté à une « communauté représentée » et ancré dans un référent spatial » [3]?

L’entretien réalisé auprès d’une institutrice Argentine, ayant exercé en zone rurale entre 1970 et 1980, m’a apporté des éléments pour décrire le contexte ritualisé du lever et de la descente du drapeau, auquel participe la chanson Aurora. La pratique partagée, quotidienne, codifiée, étendue à tout le territoire, la fait entrer dans une catégorie d’appartenance collective. Elle se juxtapose comme célébration nationale à d’autres manifestations culturelles, locales et communautaires. Comment la chanson patriotique contribue-elle à construire une identité de dimension nationale au sein des multiples identités que l’individu se forge par le jeu des interactions sociales ?

L’opéra Aurora : contexte musical et perspective historique

L’Opéra Argentin Aurora est composé en 1908 dans une période de grand intérêt pour le genre musical Opéra, dont le modèle italien prédomine ; et dans la  perspective politique de la célébration en 1910 du Centenaire de l’Indépendance. À la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, il y a à Buenos Aires un grand intérêt pour l’opéra. Des œuvres européennes sont programmées régulièrement dans les théâtre-opéras qui sont des lieux de rencontre sociale majoritairement fréquentés par un public issu des classes aisées. En 1877 est composé le premier opéra d’auteur argentin, La Gatta Bianca de  Francisco Hargreaves, dont l’argument est écrit en italien. Dans son article « La mitologia clasica en la opera argentina », Béatriz Cotello précise que, malgré un grand éclectisme des thématiques abordées par les livrets des opéras argentins de cette époque, « on peut trouver un modèle commun dans la structure et le style musical des opéras : “ l’élément qui reste uniforme, aussi forte que soit l’option thématique, est le formel, de filiation indiscutablement italienne. Non seulement les formes répondent au modèle péninsulaire mais aussi le style de la musique ”.»[4] L’usage de la langue italienne est dominant dans l’écriture des livrets, elle ne s’estompera qu’à partir des années 1920, avec le développement de l’école nationale de musique et la formation de chanteurs argentins.

C’est dans ce contexte musical du début du siècle que l’opéra Aurora est créé en 1908 par le compositeur argentin Héctor Panizza. Musicien et chef d’orchestre, il a débuté sa formation musicale à Buenos Aires au Théâtre Colon avant d’intégrer le conservatoire de musique de Milan et d’effectuer une carrière à l’échelle internationale. Le livret est écrit par l’italien Luigi Illica qui a travaillé avec plusieurs compositeurs italiens dont Giacomo Puccini, pour qui il écrit Madame Butterfly, Tosca et La Bohème. Il est accompagné dans l’écriture de l’opéra Aurora par le dramaturge argentin Hector Cipriano Quesada dont le rôle est d’apporter les éléments historiques nécessaires à l’écriture de l’argument, dont le développement  en trois actes reprend les évènements historiques de lutte pour l’indépendance qui se sont déroulés en Argentine autour de la ville de Cordoba en 1910.

Historiquement, la création de l’opéra Aurora est à mettre en perspective avec la préparation du Centenaire de l’Indépendance de l’Argentine qui doit être célébré en 1910. Après une grande période de guerres civiles de 1814 à 1880, la révolution de mai 1910, qui dura une semaine, donne lieu à l’institution du premier gouvernement administrant les communautés autonomes : « Primera Junta de Gobierno ». Ce dernier instaure la souveraineté populaire par le suffrage universel masculin et la division des pouvoirs. Le pays se trouve en pleine expansion économique, en partie causée par la grande vague de migration européenne qui fait croître la population. Dans un article intitulé « El espejo lejano del primer centenario », l’historien Luis Alberto Romero évoque l’époque du Centenaire de l’Indépendance Argentine en ces termes :

La nación, concebida gradualmente por intelectuales y políticos, sólo arraigó en las conciencias cuando el Estado la hizo suya, y le dio forma y contenido. La tarea era complicada en el escenario babélico de la inmigración masiva. Pero en 1910 estaban sentadas las bases de una nacionalidad, gracias sobre todo a la tenaz acción de la escuela pública. La nacionalidad de 1910 era plural, tolerante y liberal, no excluía a nadie y ponía en primer término las ideas de ley y patria. (…) Algunos creyeron que sólo era posible la represión, pero la mayoría confió en las reformas, por ejemplo un Código del Trabajo que legalizara y regulara la acción sindical. También los preocupaba que la nacionalidad fuera insuficiente y querían reforzar la conciencia y la unidad del llamado ser nacional, lo que originó inacabables discusiones sobre su definición.
[5]

L’article met en avant la jeunesse de la Nation Argentine à la veille de 1910. La volonté politique de consolider l’unité du pays est présente chez les politiques et intellectuels. Ce contexte accompagne la création de l’opéra Aurora, dans la volonté de consolider les mythes fondateurs de l’indépendance du pays et la constitution de sa nation unie, par l’introduction du thème patriotique. Ainsi, dans le texte du premier acte du livret, les personnages lisent ces mots sur des billets trouvés :

“Jóvenes: ¡Salud a la aurora que surge en el cielo de la Patria! La lucha por la Independencia principia hoy, 25 de mayo; hoy comienza la Patria. (…)

¿Córdoba únicamente ha de ver agitarse contra la patria el estandarte de la reacción? ¡No, Córdoba no ha de ser vil! ¡Muerte a Linares y a Ignacio de la Puente! Jóvenes: vuestro convento domina la plaza. Linares ha escondido allí armas y municiones. Abrid esta noche el convento al pueblo y entregadle las armas, o todo se habrá perdido”[6]

C’est à la fin de l’acte deux que se situe le chant qui a touché le public, interprété par le personnage principal masculin. Dans son article «  En el centenario de la Cancion a la Bandera », la musicologue Juan Maria Veniard évoque ce passage remarqué de l’opéra et cite le commentaire fait dans une revue de l’époque :

“Entre el segundo y tercer acto figura un intermezzo épico del cual tenemos excelentes informes artísticos.” (Caras y Caretas, n. 517, 29 de agosto de 1908, s/p) En el Intermedio Épico, un coro canta glorias y vivas a la patria. Mariano, el protagonista, entona una “canzon de la nostra bandiera” descripta con los colores azules y blanco: “Alta pel Cielo un aquila guerriera / ardita s’erge a volo trionfale, / ha un ala azurra del color del mare, / ha un ala azurra del color del Cielo!…”[7]

Un peu plus loin dans l’article, l’auteur cite les critiques négatives concernant la facture musicale de la pièce, exprimées dans le Journal La Prensa qui souligne toutefois l’effet produit par l’interprétation du chanteur Amedo Bassi, sur le public enthousiaste qui demanda la répétition du chant. Le contexte de la représentation a été déterminant dans la réception de cet air qui a marqué le public.

La cancion a la bandera

À l’occasion de l’ouverture du nouveau Théâtre Colon, une représentation de l’opéra Aurora, traduit en espagnole par Josué Quesada, est donnée le 9 juillet 1945. Cette représentation est faite devant le président Edelmiro Farrell et le Vice président Juan Domingo Peron. [8] Depuis les années 1920, le genre opéra connaît en Argentine un élan “nationaliste” qui se traduit par l’écriture du livret en langue espagnole, le développement d’une thématique nationale, sur une composition effectuée par un auteur argentin. La volonté de reprendre le livret de Aurora dans une traduction espagnole pourrait être rattachée à ce mouvement.[9] La version espagnole de la Cancion a la Bandera a de nouveau rencontré un énorme succès. La même année, un décret officiel la fait entrer dans le répertoire des chansons patriotiques.

Le texte épique utilise la figure de l’aigle qui a une forte portée symbolique dans de nombreuses civilisations. « Roi des oiseaux, incarnation, substitut ou messager de la plus haute divinité ouranienne et du feu céleste, le soleil, que lui seul ose fixer sans se brûler les yeux. »[10] Cette image solaire est le centre du texte de la Cancion a la Bandera, où la référence à la patrie est faite conjointement à celle de Dieu.  Ce symbole met en distance l’évocation de la patrie avec les figures héroïques et historiques,  et l’inscrit dans une relation au sacré, à l’intouchable.

Alta en el cielo, una águila guerrera

audaz se eleva en vuelo triunfal

Azul un ala del color del cielo

Azul un ala del color del mar,

Así en el alta aurora y radial

punta de flecha el áureo rostro imita,

y forma estela al purpurado cuello,

El ala es paño, el águila es bandera.

Es la bandera de la patria mía,

del sol nacida, que me ha dado Dios,

es la bandera de la patria mía,

del sol nacida, que me ha dado Dios,

Es la bandera de la patria mía,

del sol nacida, que me ha dado Dios.[11]

La rédaction du texte en espagnol a été controversée mais peut-être faut-il retenir que l’extraction de ce passage de l’œuvre est motivé par l’émotion qu’il a suscitée, grâce à sa capacité d’évocation symbolique, associée à la musique de Hector Panizza. De plus la date à laquelle s’est déroulée la représentation espagnole au Théâtre Colon est liée au jour de la déclaration d’indépendance faite le 9 juillet 1816. C’est peut-être  également un élément contribuant à renforcer la portée symbolique de cette version d’Aurora. Le poète Jorge Luis Borges mentionne cette date de 1816 dans un poème intitulé “Oda escrita en 1966”. « Nadie es la Patria./ Ni siquiera el tiempo 
cargado de batallas, de espadas y de éxodos./ Nadie es la patria pero todos lo somos. »[12] Nous retrouvons ici la mise à distance  de l’événement  historique  dans la définition de la notion de patrie, la réintroduction de l’individu et le rapport au collectif.

Une catégorie spatiale métaphorique d’appartenance collective

Dans son analyse de l’hymne national  hongrois et de L’Exhortation, poème à portée patriotique, Anne-Marie Losoncsy formule l’idée que « la nature de la symbolique, sous-jacente au mode d’attachement patriotique, réside précisément en son caractère hybride et multiple ; en l’accueil et l’articulation souple et ouverte d’une multiplicité de codes (culinaire, musical, vestimentaire, historique, paysager, funéraire, héroïque, etc.), de registres d’expression (populaire, néo-populaire, savant, commun, etc.), de modèles de légitimité et de temporalité de provenance culturelle interne ou externe, dont il construit sans cesse des formes d’expression à usage collectif et individuel qui s’influencent mutuellement.»[13] Ceci invite à dépasser la dichotomie entre des catégories savante ou populaire, et propose une interprétation  basée sur une « catégorie spatiale métaphorique d’appartenance collective »[14].

La portée symbolique détachée de significations de classe ou de pouvoir, une date fondatrice, l’émotion suscitée chez le public, ont  déplacé la chanson Aurora. Elle devient chanson patriotique tout en conservant sa partition de musique d’opéra, elle change de langue et conserve les images symboliques de son texte d’origine. La représentation de la patrie par l’objet du drapeau se dessine symboliquement dans le texte, par petites parties, de façon imagée, à travers chacun des vers de la chanson. C’est un point d’accroche équilibrant l’élan plutôt vertical qui s’opère par ailleurs. Hector Panizza dans ses mémoires évoque le trajet suivi par la Cancion a la Bandera extraite de son opéra. Il souligne les situations concrètes dans lesquelles elle est utilisée après le décret qui l’a fait entrer dans une nouvelle catégorie.

“La Canción a la Bandera, que fue visada en todas las representaciones, se convirtió en “Oración Nacional” y últimamente, por decreto del Gobierno, se convirtió en Canción obligada en todas las escuelas secundarias y primarias de toda la República. Todavía hoy, a la distancia de cuarenta años esta Canción figura no sólo en los programas escolares sino también en los mismos de la Marina de Guerra, en el Cuerpo de Granaderos y en la Aeronáutica; en los aniversarios patrios se la ejecuta tanto al izar como al amainar la bandera.”[15]

Ces mots du compositeur mettent en avant l’enjeu du rituel, auquel a été associée la chanson Aurora, conforté par le décret officiel de 1945. L’hommage physique du salut au drapeau dans les écoles associe à la présence symbolique du texte, la matérialité du drapeau et l’implication corporelle des élèves. Comment donner consistance à la notion de patrie ? Comment prend sens la notion de “ser national”, présente dans le texte cité de Luis  Alberto Romero, et dans l’article de Beatriz Cotello[16] ? La réponse est peut-être dans ce geste impliquant chacun des élèves dans un contexte collectif. Il y a l’espace « métaphorique d’appartenance collective », et dans le cas de la Cancion a la Bandera, il se crée également un espace corporel mis en scène et ritualisé dans l’hommage au drapeau. L’efficacité symbolique est renforcée  par le rituel collectif chanté et performatif.

Aurora et le rituel du lever de drapeau : pratique et identités

 

Chaque semaine, une institutrice est en charge du fonctionnement quotidien de l’école. Elle organise le lever de drapeau le matin et la descente du drapeau le soir. Lorsque la sonnerie retentit dans la cour, les élèves en tablier d’école se regroupent par classe, filles et garçons sur des files différentes. Le silence s’installe et l’institutrice de tour indique aux élèves les gestes à effectuer. « Prenez distance main droite » : les élèves posent leur main sur l’épaule du camarade qui les précède, établissant ainsi une distance avec lui. « Baissez le bras », chacun aligne son bras le long du corps. Les trois élèves ayant eu les meilleurs résultats de la semaine sont désignés pour aller chercher le drapeau dans le  bureau de la direction. Ils l’apportent dans la cour. Un des enfants est chargé de l’accrocher au mat. Les deux autres élèves se placent de part et d’autre de lui, un peu en retrait. L’institutrice indique que le chant peut commencer. Les enfants chantent la Cancion a la Bandera pendant que le drapeau monte. Parfois d’autres chansons mentionnant le drapeau peuvent être choisies, c’est le plus souvent Aurora qui est entonnée. Les élèves vont en classe pour travailler, et vers 17h30, la descente du drapeau est effectuée selon le même rituel.

Un entretien réalisé auprès d’une institutrice Argentine m’a permis de faire cette description. Elle a partagé son expérience et sa vision de la Cancion a la bandera.

«  Aurora est aussi chantée pendant les fêtes patriotiques et le jour de la fête du drapeau.  À l’école, c’est avec émotion que les élèves et les instituteurs la chantent. Elle a pour but de transmettre les valeurs de fidélité à la patrie, un sentiment de protection et d’appartenance, une identité nationale. J’ai toujours connu ce rituel. A l’école tout d’abord, pendant toute ma scolarité. Puis en tant qu’institutrice, j’ai exercé au milieu des années 70, début des années 1980. L’hymne national rappelle ceux qui se sont battus pour la libération du pays : “ Oíd, mortales, el grito sagrado”…[17]Aurora est plus symbolique, elle mentionne le drapeau et le texte a une dimension religieuse. (L’Argentine n’a pas de séparation entre l’Eglise et l’Etat.) Seuls les meilleurs élèves ont le droit de hisser le drapeau, de défiler dans la rue en le portant. Le rituel est lié au mérite et au tableau d’honneur affiché dans l’école. Tout le monde croyait en cette chanson à la patrie. L’émotion est créée par le rituel, par les instituteurs et les parents aussi qui le véhiculent. Il est fait par tous, et sur tout le territoire. Sinon tu es mis de côté et arrive le sentiment de non appartenance. Il y avait des punitions données aux élèves qui ne chantaient pas. En tant qu’institutrice, on est préparé pour le rituel. On ne pense pas, on le fait. Moi je n’ai connu que la dictature, des gouvernements imposés. Je n’ai jamais voté en Argentine. Le rituel du drapeau était une partie d’un système plus large de symboles et de petits rituels. Mais je n’y pensais pas. »

La dimension du sentiment d’appartenance ressort dans cet entretien où le partage ritualisé et collectif fédère un “faire ensemble” nourri par la célébration à caractère national effectuée dans la sphère locale. Dans son article « Estados y Comunidades. Politicas de identidad », Alejandro Isla travaille sur la question des identités en relation avec la notion de pratique, et comme résultat de positionnements dans un contexte d’interactions sociales où se manifestent des distributions particulières de pouvoir.

Desde esta lectura, la identidad, al mismo tiempo de instrumento de “identificacion”, juega o se despliega en un campo de poder. Y esto es asi, porque juega en el campo o espacio donde se discuten significados, contenidos simbolicos y el status mismo de las personas. En ese espacio de interpélacion se discute, se estigmatiza o se confiere ( a tal status) legitimidad a partir del reconocimiento, por parte del Otro »[18]

L’institutrice que j’ai rencontrée a exercé dans une école en zone rurale où venaient des enfants des fermes alentour. Il  y avait dans sa classe des élèves de la communauté indienne. Tous vêtus du tablier d’école participaient au rituel du drapeau. Elle précise que par ailleurs, il lui arrivait de rendre visite aux familles de ces élèves dont les parents exerçaient des soins traditionnels propres à la connaissance de leur communauté.  Elle décrit la coprésence, dans leur quotidien, d’activités liées à la commune, à l’école, au partage dans le village, et à d’autres pratiques traditionnellement liées à leur communauté. Cela invite à penser la pratique du rituel social dans la perspective de considérer chaque individu comme acteur et pas seulement comme une chose lui étant imposée, et dont il ne s’approprierait pas. Alejandro Isla exprime cette perspective dans son article.

Considero que la identidad se expresa en practicas, a veces concientes y cuidadosamente producidas. Pero en muchas ocasiones las identidaes se expresan automaticamente en performances. Me interesa resaltar teoricamente el analisis de las practicas como una interseccion de la subjectividad del actor, y la posicion del mismo en la estructura social o espacio social. »[19]

L’auteur travaille en Argentine auprès de la Communauté Indigène de Amaicha del Valle. Il approfondit l’aspect politique des relations quotidiennes dans le monde local de la commune, ainsi que leurs articulations avec le monde de la société nationale. Ce monde prend par exemple forme à travers les célébrations nationales de plus en plus fréquemment organisées dans les vallées de cette région. Alejandro islas précise que ces vallées conservent des valeurs et croyances provenant de traditions anciennes qui se juxtaposent aux valeurs nationales, « s’hybridant selon le moment el le palais de ses exécutants. »[20] Les rituels comme l’hommage au drapeau effectué à travers le chant de Aurora est peut-être un des marqueurs de la présence de l’état dans sa forme nationale.

D’autres éléments accompagnent le rituel de l’hommage au drapeau. Parmi eux « la promesse de loyauté au drapeau » faite par les élèves  en fin d’école primaire. Le texte de cette promesse, dans sa version actuelle, est consultable sur le site internet du Ministère de l’Education et de la Nation[21]. Il évoque le drapeau comme symbole de la patrie ainsi que les valeurs portées par la constitution. Les élèves promettent de respecter ces valeurs et de les transmettre. Il serait intéressant de comparer ce texte, qui parle de construction de la démocratie, avec la promesse de loyauté au drapeau rédigée en période de dictature  par exemple. Le regroupement sous le même ministère des secteurs de l’éducation et de la nation peut être également significatif. Dans quelle mesure ces dimensions d’un état sont-elles liées ? Quel lien s’effectue entre l’éducation et l’accompagnement des jeunes Argentins dans leur connaissance et construction avec la dimension nationale, collective ?

Sur leur site internet, des instituteurs évoquent la question du sentiment patriotique qui leur semble s’être estompé.

Observamos que en la actualidad se ha perdido el sentimiento socialmente compartido de las fiestas patrias, el respeto a los simbolos patrios, las marchas patrioticas ya no se cantan y si se lo hace es en voz baja, ya que hasta los adultos hemos perdido el fervor para entonarlas como es debido. ¿Cuál es el motivo de este desinterés?

Para comenzar a trabajar respecto de este tema, presentamos a continuación lo que dice el reglamento escolar de las escuelas dependientes de la Secretaría de Educación.

Suite au rappel des articles officiels qui définissent les conditions d’usage et de traitement de l’hymne national, les instituteurs formulent une série de propositions de travaux autour des chansons patriotiques.

Ce dernier exemple met en perspective les enjeux à l’échelle gouvernementale, politique nationale, et à l’échelle locale, enseignement et éducation, qui entourent les usages et les pratiques patriotiques comme support et outil pour la création d’une identité collective inscrite dans le vécu local, liée à une appartenance commune à une même patrie. Je n’ai pas approfondi dans ce travail le contexte politique de 1945, peut-être en partie pour éviter l’écueil de lier trop rapidement des notions comme le populisme à l’usage de chansons patriotiques.  L’approche par le biais du rituel et des pratiques permet de rendre les personnes actrices dans la construction des identités qui émergent des interactions sociales qu’ils sont amenés à vivre. Le glissement de Aurora depuis l’opéra au répertoire de chanson patriotique l’a fait entrer dans un espace des éléments culturels nationaux partagés par tous, par le biais du rituel physique et symbolique à travers l’hommage au drapeau. La Cancion a la Bandera est entrée dans le quotidien et l’imaginaire collectif de tous les Argentins. Un très grand nombre de version, acoustique, symphonique, amplifiée, sont audibles et visibles dans les médias. Aujourd’hui, à l’occasion de la célébration du Bicentenaire de l’Indépendance de l’Argentine, elle est présente dans les célébrations collectives.

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[1] Cancion a la bandera, adaptation de Josué Quesada, 1945, tirée de l’opréra Aurora, livret Luigi Illica, composition H. Panizza, Argentine 1908.

[2] Luba Vink, Aislado, film documentaire France 2009, 34 minutes, digital vidéo.

[3] Anne-Marie Losonczy, « Dire, chanter et faire. La construction de la « patrie » par l’hymne national hongrois et l’Exhortation », Revue Terrain (en ligne), n° 29, 1997, p.4

[4] Beatriz Cotello, « La mitologia clasica en la opéra argentina », Circe 8, 2003, p.126

[5]  Luis Alberto Romero, « El espejo lejano del primer Centenario », Revista de Culture (en ligne), 25.04.2010

[6] « Aurora (opera) », Wikipedia, enciclopedia libre (en ligne), actualisé le 23 mai 2010

Seule point de source que j’ai trouvé citant une partie du texte du livret de l’opéra outre la partie ayant inspiré Aurora. Ici il est déjà dans une traduction espagnole et non dans l’original italien.

[7]Juan maria Veniard, « En el centenario de la Cancion a la Bandera », revue Criterio (enligne), N°2342, octobre 2008

[8] Dans son article, Beatriz Cotello mentionne le fait que la salle du Théâtre de l’Opéra de Buenos Aires était dédiée aux représentations officielles depuis la fermeture du vieux Théâtre Colon en 1888. Cette vocation officielle donnée au lieu de la représentation semble significatif pour la lecture que l’on peut faire d’une pièce et de sa réception. Beatriz Cotello, « La mitologia clasica en la opéra argentina », Circe 8, 2003, p.125

[9] Plus tard, l’introduction de musiques traditionnelles et des adaptations de thèmes littéraires nationaux seront pratiquées. Dans la seconde moitié du XXe siècle prédominera une tendance universaliste.

[10] Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Robert Lafont/Jupiter, 1969, édition corrigée 1982, p.16

[11]  Cancion a la bandera, adaptation de Josué Quesada, 1945, paroles originales de Luigi Illica dans  l’opéra Aurora H. Panizza, 1908.

[12] Jorge Luis Borges, “Oda escrita en 1966″[12]  du volume El otro, el mismo, Obras completas. Emecé, Buenos Aires, 1964. P. 938.

[13] [13] Anne-Marie Losonczy, « Dire, chanter et faire. La construction de la « patrie » par l’hymne national hongrois et l’Exhortation », Revue Terrain (en ligne), n° 29, 1997, p.4

[14] Ibid, p.11

[15]Hector Panizza, Medio siglo de vida musical, BA, Ricordi, in  Juan maria Veniard, « En el centenario de la Cancion a la Bandera », revue Criterio (enligne), N°2342, octobre 2008 Ibid, p.

[16] Beatriz Cotello, « La mitologia clasica en la opéra argentina », Circe 8, 2003, p.128

[17] « écoutez, mortels le cri sacré », Oid, Mortales (Écoutez, mortels), l’adaptation actuelle est adopté en 1900.

[18] Alejandro Isla, « Estado y comunidad. Politicas de identidad », Nuevo Mundo Mundos Nuevos, (en ligne), Debates, 2005, mis en ligne le 27 janvier 2005. P.2

[19] [19] Alejandro Isla, « Estado y comunidad. Politicas de identidad », Nuevo Mundo Mundos Nuevos, (en ligne), Debates, 2005, mis en ligne le 27 janvier 2005. P.5

[20] [20] Alejandro Isla, « Estado y comunidad. Politicas de identidad », Nuevo Mundo Mundos Nuevos, (en ligne), Debates, 2005, mis en ligne le 27 janvier 2005. P.4

[21] Site du Ministère de l’Education et de la Nation http://www.me.gov.ar/efeme/20dejunio/promesa.html