En écoutant un thème musical de Pink Floyd intitulé « Welcome to the machine » qui débute par le son enregistré d’une machine, sorte de sas mécanique sous pression, je me suis confrontée aux limites du langage verbal à dire ou transcrire ce son, j’ai pensé que l’utilisation d’un graphique, une représentation informatique, pouvait être efficace pour montrer ce moment musical afin de compléter et nourrir sa description.
La question de la figuration du phénomène sonore se pose d’emblée comme une étape importante dans la démarche d’analyse musicale. C’est à cette condition que le phénomène sonore peut devenir l’objet d’une étude et du discours scientifique.
Comment mettre en présence la musique, le son, dans le discours verbal que constitue le texte scientifique ? L’apport des medias (mot, enregistrement sonore, captation visuelle fixe et/ou en mouvement, langage informatique) invite à repenser les modalités de l’écriture de l’analyse musicale qui s’ouvre vers une hypertextualité. Si la communication scientifique se présente comme un dialogue, peut-on voir l’analyse musicale comme la possibilité d’une expérience d’écoute guidée ? La préparation et le tournage d’une captation audiovisuelle, d’une série d’œuvres musicales, est l’occasion d’observer le rôle que peut jouer l’analyse musicale dans une telle collaboration et les possibilités du film à traduire les clés d’écoute dégagées par l’analyse.
1-Analyse et medias : la mise en présence de l’objet musical.
L’analyse d’une pièce musicale, sonore, implique la mise en présence de l’objet et l’élucidation des phénomènes sensibles afin d’identifier les traits signifiants de la pièce étudiée et de permettre leur explicitation. La démarche de transcription est tout aussi pertinente pour une pièce dont on possède une partition mais dont on voudrait faire l’étude par le biais d’un moment de performance, enregistré ou non, que pour l’étude des musiques électroacoustiques par exemple dont on ne possèderait pas de support écrit. Indistinctement des catégorisations musique savante/musique populaire, la question de la transcription se pose comme l’enjeu d’une description.
Comment représenter et se représenter une pièce musicale, un phénomène sonore ?
Quels outils et ressources technologiques pour l’analyse musicale ?
Dans son article « Prescriptive and Descriptive Music Writing »[1] publié en 1958 Charles Seeger propose une alternative à la transcription solfégique pour l’appréhension des musiques relevant d’autres systèmes musicaux. Il propose la transcription automatisée pour répondre à une exigence d’objectivité garante d’une démarche scientifique, l’utilisation du strobocom et du sonographe. L’ethnomusicologue Gilles Rouget dans son article de 1970, « Transcrire ou Décrire »[2] redirige la question de la recherche objective de la description. Il distingue trois étapes à mettre en relation : la mise à jour du système phonologique, la performance musicale qui est une réalisation de ce système, la transcription et l’analyse. Les opérations du chercheur ont un caractère prescriptif, les appareils automatisés vont eux donner une analyse descriptive.
La construction d’une traduction écrite visuelle du son relève d’une problématique élaborée par le chercheur. La mise en texte, figuration, de la musique dans un but de connaissance, pour conduire à une analyse objective de la musique fondée sur des critères définis, risque d’écarter les paramètres musicaux (l’interprétation, le contexte historique) et les éléments qui situent l’analyse. La transcription est un moment de l’analyse, un choix de paramètres en fonction d’un travail et non pas seulement un calque de l’objet sonore. Le choix des outils techniques de l’analyse implique un regard relatif du chercheur sur l’objet sonore. Et inversement, le regard porté par le chercheur sur l’objet sonore implique le choix d’une technique de transcription, de figuration visuelle. La question de la subjectivité de la transcription dans le processus de recherche se pose donc. La transcription est une représentation sélective de réalité sonore qui reste interprétative.
L’objet musical étudié dans l’analyse est ainsi mis en présence. Ses composants constitutifs et physiques sont figurés par des graphiques, des courbes, des notes sur une partition, des signes schématiques, qui sont des images du son. Nous avons donc une mise en présence d’une image du son. L’enregistrement sonore constitue lui aussi une image sonore. Malgré l’illusion de réalité. Cette mise en présence se fait donc sous un mode particulier. Le texte (l’écriture) de l’analyse est un tissage entre les éléments de description, selon ces modes de mise en présence particuliers, et le discours argumentatif du chercheur. Les possibilités de ce tissage bougent avec la technologie et les outils choisis.
Au cours des années 1990, les avancées technologiques, notamment en termes d’enregistrement vidéo, mais aussi de traitement informatique, font un nouveau bond qui influence les opérations de captation, de fixation du phénomène musical/sonore. Dans l’article « iAnalyse : un logiciel d’aide à l’analyse musicale »[3], Pierre Couprie cite Gérard Assayag puis présente son logiciel dans la lignée de l’Acousmographe :
«Les différentes représentations ne sont pas seulement une manière de repérer différents types de rapports entre les espaces de paramètres, mais sont aussi une puissante aide à la pensée, dans le sens où une représentation peut influencer plus ou moins directement le raisonnement.»(…)
Il m’a toujours semblé que l’on ne mesurait pas l’ampleur de la révolution apportée par l’Acousmographe. François Bayle, à l’origine de son développement, l’a pensé comme un logiciel de représentation graphique de la musique, permettant ainsi de guider l’écoute par des formes colorées attirant le regard sur telle ou telle structure ou révélant telle relation musicale.
Manipuler, segmenter, annoter la partition en même temps que la musique défile et s’écoule dans le temps, mettre en présence à la fois l’objet musical et le regard porté sur lui par le chercheur : il y a là la création d’une gestion spatiale et temporelle particulière de l’analyse. Parce que le codage du médium informatique et des marqueurs est une animation de la pensée du chercheur inscrite sur la représentation visuelle de l’objet musical présente simultanément.
Il y a création d’une circulation, un trajet particulier qui se construit dans l’appréhension de l’objet musical, dans la construction de la pensée et du raisonnement de l’analyse, dans sa restitution. Dans la citation de pierre Couprie une expression me semble significative de la construction de ce trajet : « guider l’écoute par des formes colorées attirant le regard ». Le discours argumentatif scientifique ouvre l’écriture de sa communication à l’utilisation d’autres médias que le mot. Cette utilisation par le chercheur doit prendre en compte également le type de codage qu’ils impliquent.
L’enregistrement audiovisuel permet de capter une performance musicale dans sa double dimension temporelle et spatiale. Le film reste une opération de classement, de choix (un jour, une action, un angle de prise de vue). Il n’est pas objectif ni exhaustif. Il est l’enregistrement d’une réalité choisie. En tant qu’écriture, à travers le cadrage et le montage, le film produit une déréalisation du sujet filmé, de la réalité sociale, historique, musicale qui devient un objet scientifique. Le mode par lequel le médium livre au chercheur un accès à la musique réintroduit cependant des dimensions corporelle et physique, temporelle et spatiale dans la fiction scientifique.
Lors d’une séance du séminaire « Musique et sciences « Sociales », Julien Mallet a présenté ses travaux de recherche concernant le tsapiky de Madagscar. Il a exposé les éléments de grammaire particuliers à cette “musique jeune” issue d’un processus de création original. Puis il a expliqué les phénomènes sociaux qui lui sont liés. Afin de donner à voir la technique particulière de jeu instrumental, Julien Mallet a appuyé son discours sur des images filmées. Le montage juxtaposait deux prises de vue rapprochées de chacune des mains d’un guitariste, filmées simultanément lors de l’exécution du moment de musique réalisé hors situation. Ce montage nous a permis de comprendre très rapidement le procédé de jeu, de visualiser les gestes du musicien, tout en entendant les sons dans un déroulement temporel synchrone. Une modélisation simplifiée représentait le système polyphonique basé sur un principe de répétitions et de variations. Enfin, un second extrait filmé donnait à voir la performance musicale dans le contexte social cérémonial de l’enterrement. Les images montraient un mouvement collectif fort, où les musiciens entrent en interaction avec les familles qui défilent, avec leurs offrandes, devant l’orchestre qui adapte son jeu. L’enregistrement a rendu compte de la montée du rythme, de la tension des corps et de la force de l’expérience musicale collective.
Dans la mesure où l’outil medium d’enregistrement, d’annotation et de description de la musique, est introduit dans la construction de l’analyse et de son « texte », les codages sont donnés comme des possibilités de construction de l’écriture. Ceci est valable tant dans le cas de la création de partitions annotées, que dans celui d’enregistrements sonores et/ou vidéos. Le trajet textuel convoque l’œil et l’oreille du lecteur/récepteur/auditeur dans de nouvelles proportions qui font interagir les paramètres musicaux. L’espace de l’analyse s’ouvre avec des liens entre des textualités de natures différentes. Animation, synchronisation, interactivité donnent forme aux clés d’écoute proposées par l’analyse musicale.
2-L’analyse musicale : la possibilité d’une expérience d’écoute guidée ?
La dimension « interactive » de certains documents multimédia et dispositifs rencontrés dans des publications récentes d’analyses musicales, comme l’ouvrage multimédia de Dana Rappoport sur les musiques Toraja, ou la présentation interactive du travail de Bernard Lorta Jacob sur les polyphonies vocales de Sardaigne, met en avant l’extension du tissage textuel à un nouveau rapport espace/temps de l’analyse qui s’ouvre à l’action du lecteur.
Dans l’article intitulé « Pour une écriture multimédia de l’ethnomusicologie »[4], Marc Chemillier note :
( …) L’écriture multimédia touche à la question de l’argumentation scientifique elle-même. Les expériences menées sur le site ethnomus.org ont montré qu’il est possible de matérialiser un raisonnement scientifique à travers la scénarisation d’une animation musicale interactive. D’autres expériences ont été menées dans l’utilisation de structures hypertextuelles, c’est-à-dire des structures constituées de textes reliés les uns aux autres en cliquant sur des liens, pour représenter l’architecture d’un discours des sciences humaines selon le modèle de la schématisation logiciste décrit par Jean-Claude Gardin. (…) L’utilisation du multimédia en ethnomusicologie, et la définition d’une véritable écriture multimédia pour cette discipline, sont indissociables d’une réflexion épistémologique qui devrait conduire les chercheurs à repenser la manière dont ils organisent leurs idées à propos des musiques qu’ils étudient.
Le passage du texte à l’hypertexte opéré par l’interactivité, et la mise en lien coordonnée et synchrone de medias différents ( film, enregistrement sonore, textes), pose la question de la conception de l’écriture de l’analyse musicale. Conception mais aussi perception de l’écriture dont les modalités sont confrontées à la matérialité des medias. Lorsque ceux-ci sont convoqués et activés dans l’argumentation scientifique, ils créent des situations en même temps qu’ils symbolisent une information.
L’analyse musicale est la production d’un discours traduisant une explicitation de la pièce musicale, appuyé sur des arguments mis en présence par des supports media qui ne sont pas seulement illustratifs. Peut-on dire que sa communication scientifique est alors productrice d’une expérience dans la mesure où ces medias pris en compte comme phénomènes physiques (impliquant le couple œil-oreille) conduisent le corps du lecteur-auditeur-spectateur (récepteur) dans un trajet guidé ? Les mots, les sons, les images, n’étant pas seulement les véhicules d’un sens et d’un discours de l’analyse mais d’une possible “expérience d’écoute” où quelque chose de nouveau peut se produire.
Sous cette hypothèse, si l’analyse se donne pour but la description et l’explicitation d’une pièce musicale, à travers un discours argumenté et construit donnant des clés d’écoute, son rôle structurant s’accompagne d’une circulation à l’intérieur d’“images” dont le choix et l’agencement racontent tout autant l’objet musical en créant un dialogue. Cet agencement fait varier les dimensions de l’espace et du temps, convoque des éléments d’histoire et d’esthétique, replace le contexte de la performance, ainsi que les questions liées à l’écoute, à la production et la réception de la pièce.
Le mot scénarisation, présent ici dans la citation, rejoint l’idée d’une gestion de l’écriture avec ses effets, et soulève la question de la part d’inventivité que peut comporter la pratique de l’analyse musicale. La fiction scientifique s’accompagne d’une dimension littéraire du texte verbal qui sous-tend déjà cette question. Lors d’un entretien[5] réalisé en janvier 2009, Martin Kaltenecker réagit sur ce point et souligne ce tissage textuel :
La question nous ramène d’une certaine manière à Didi-Huberman. J’aimerais bien faire de la musicologie comme il fait de l’histoire de l’art, sans que mes intrigues aient un côté trop « artiste », comme on disait à la fin du 19e siècle. Dans mon cas, une musicologie très lestée d’esthétique. En revanche, comment être inventif quand vous avez à traverser un champ de textes massif et dense, comme un historien confronté à un mur de cartons d’archives ? Comment être inventif là-dedans ? Mais si, à l’inverse il n’y a que des trajets, en lignes très ténues ou arabesques élégantes, comment être certain que le carton qu’on n’ouvre pas, le texte qui vous échappe, l’ensemble discursif relégué au fond du paysage, ne serait pas celui par où passe en vérité la voie royale du sens ? Et si cette question ne vous trouble pas, vous faites de l’orfèvrerie avec les fragments prélevés qui vous séduisent. Cela devient extrêmement irritant et stimulant en même temps. Construire des récits, montrer d’où vient un compositeur, un fragment discursif, c’est une chose, mais quand vous avez une masse énorme de textes à ordonner, que vous êtes dans le disparate total, où commencent le récit et l’inventivité ? En alignant deux citations, avez-vous simplement produit une bonne transition dans votre texte, ou dégagé une relation significative entre la première et la seconde ? Un texte qui s’enchaîne bien peut paraître comme le décalque d’une relation causale « dans les faits », et c’est là que la question de l’invention est au fond mise à vif.
Les trajets d’écoute guidée élaborés dans les musés comme la Cité de La Musique ; les parcours à l’intérieur d’un DVD-Rom accompagnant une publication ; les interactions sur l’écoute proposées par les Portraits Polychromes sur le site internet du Groupe de Recherches Musicales ; sont des propositions d’expérience et des fenêtres ouvertes pour la pratique de l’analyse musicale vers des collaborations transversales avec d’autres disciplines. Elles invitent à reconsidérer les modalités de l’échange de l’analyse musicale scientifique, le mode de réception de sa communication. Quel public pour ces écoutes guidées ? Quels espaces et quelles mises en œuvres sont rendus possibles ?
Une équipe de chercheurs de l’Ircam travaille depuis 2003 sur un projet intitulé « Ecoutes signées » dont l’objectif est l’élaboration « d’un outil générique d’aide à l’exploration auditive ». Des musicologues collaborent à ce projet dont l’un des aspects est de rendre compte de la modalité de l’écoute et de la manière d’analyser une musique choisie. « Lors de travaux de recherche, un écouteur est convié à imaginer une façon de représenter, à l’aide de diverses technologies musicales, la spécificité de son écoute d’une œuvre ou d’un corpus donnés. » [6] La pratique de l’analyse musicale entre dans des protocoles expérimentaux de recherche et d’élaboration d’outils pouvant à leur tour accompagner et enrichir le travail sur la musique et le son, tant du côté de sa création que de sa réception. Dans ce travail, l’analyse se confronte à la multiplicité de l’écoute supposée par le projet de recherche, et doit ouvrir les frontières de ses propres paramètres de recherches. Comme si elle contribuait à créer des espaces de focalisation et de délimitation d’objets sonores qui la poussent à une certaine réflexivité.
Où et comment se délimitent les règles de composition de l’analyse musicale ? Peut-être au regard des courants qui composent sa propre histoire, des disciplines voisines, des éléments technologiques nouveaux qui redessinent ses frontières. Lors d’un entretien réalisé en décembre 2005[7], Makis Solomos remet en perspective sa pratique de l’analyse et ses frontières ouvertes :
Pour en venir à ma propre approche, une partie des musicologues de ma génération, qui a étudié à une époque où, en France, la musicologie était principalement historique (avec de notables exceptions, bien entendu), l’analyse et l’esthétique ont été de puissants moyens de faire sauter des barrières. Je reste très attaché à la pratique de l’analyse, mais j’éprouve
souvent le besoin d’ajouter au « comment ? » la question du « pourquoi ? », encore plus aujourd’hui où la question du « sens » (de la musique contemporaine) – dans toutes les acceptions possibles du mot – est parfois (mais pas toujours !) plus passionnante que celle des moyens. À l’inverse, l’esthétique, en tant que discipline purement philosophique, est pour moi
trop éloignée de la musique (mais je m’intéresse à la philosophie proprement dite). Récemment, comme je le disais, je me suis intéressé à l’histoire (de la musique), mais une histoire qui ne serait pas autonome, qui se nourrirait de l’analyse et de l’esthétique. Je crois donc en une musicologie « globale », non pas holistique ou totale, qui n’aurait qu’un angle d’approche monolithique, mais une musicologie qui saurait varier ses méthodes, ses sources d’inspiration.
La richesse des technologies invite à penser l’analyse musicale dans une pratique transversale des medias. Une écriture qui élargit l’espace du texte à la création d’un parcours de situations générateur d’une expérience d’écoute guidée.
3-La captation audiovisuelle d’une pièce musicale : traduction d’une analyse ?
Pris en complémentarité, le son et l’image, conçus au sein d’un dispositif filmé et monté, peuvent guider le spectateur auditeur dans l’approche d’une pièce musicale, selon un trajet construit par l’analyse, en jouant sur les dimensions temporelles et spatiales qu’ils permettent d’expérimenter.
Que penser de l’opposition qui consiste à dire de prime abord que l’oreille est instrumentée par l’œil lors d’une écoute musicale où la source de cette production sonore est visible ? Je pense que le duo de visio-audition peut s’avérer positif et n’implique pas nécessairement une dégradation de l’expérience d’une écoute musicale.
Il tient à l’écriture audio-visuelle de construire une narration qui aille dans le sens d’une découverte de la musique. Cette écriture découle d’une collaboration entre l’auteur de l’analyse musicale et une équipe composée de techniciens : le réalisateur, l’ingénieur du son, l’opérateur de prise de vue, mais aussi le monteur image et son, puis le mixeur. Peuvent entrer en collaboration dans cette écriture les interprètes qui en seront les acteurs et, le cas échéant, le compositeur. Le musicologue ou l’auteur de l’analyse peut être considéré lui aussi comme un technicien au regard de sa démarche et des outils qu’il met en œuvre dans son travail.
L’enregistrement sonore effectué à l’aide d’un dispositif de micros, dont on décide de la qualité (le type) et de l’emplacement lors de la captation de la performance, permet la perception des matières et des cops en présence. Les paramètres de disposition des micros construisent le rapport à l’espace. Les positions des musiciens, des chanteurs, des instruments, les uns par rapports aux autres, peuvent être restituées. L’espace de la performance sera rendu, ainsi que la présence éventuelle du public ou du contexte social.
Il en va de même pour le dispositif visuel. Installées en différents points, les caméras permettent une présence dans l’espace selon différents points de vue. Le choix des objectifs caméra utilisés, le type de lumière, les valeurs de cadre, les mouvements ou la position fixe de la caméra, sont des paramètres qui contribueront à guider le vidéo-écouteur dans l’expérience musicale d’écoute proposée par l’analyse.
La réception faite d’un document audiovisuel, proposant un parcours à l’intérieur de la musique, diffère de la situation du concert où le spectateur est assis en un même point de la salle, où il reçoit et perçoit le moment musical sous le même angle.
Cette circulation par différents points d’image et différents points de sons crée les possibilités de l’écriture audiovisuelle avec tout ce que peut impliquer, en corrélation, la notion de hors champ sonore et visuel. Les combinaisons sont ouvertes aux partis pris de l’analyse musicale. On pourra choisir de montrer un geste qui ne correspond pas forcément à ce qui est mis en avant dans le mixage sonore. Ce mixage est comme un passage par les différents points de son, selon un trajet déterminé par l’analyse pour rendre compte de la pièce ou du moment musical.
Enfin, le montage est une part importante du dispositif. Il déterminera le rythme, l’alternance des points de vue, confirmera les choix de l’analyse face à la matière tournée qui révèlera également les paramètres liés à la situation de performance enregistrée. Chaque pièce implique un rythme et donc des déplacements différents. Une monteuse avec laquelle je collabore m’a dit que certaines musiques résistent au montage, comme les tangos sur lesquels nous étions en train de travailler, et d’autres musiques non.
Je me proposais de participer à un travail de captation qui malheureusement a été repoussé dans le temps. Il s’agit d’une performance du groupe Soledad. Le Réalisateur de ce travail, Joachim Thôme, a déjà effectué une série de trois réalisations de films musicaux autour du duo de pianistes Sergio Tempo et Karin Lechner. Le duo a interprété des œuvres de Witold Lutosławski, Antonin Dvořák et Astor Piazzolla. Chaque pièce musicale a fait l’objet d’une mise en espace, de cadrages particuliers. Ce travail est visible à partir du site de la maison de production www.lesproductionsduverger.be, en voici quelques images. Il existe également un documentaire intitulé Night recordings, sur le duo Lechner-Tiempo filmé lors des enregistrements nocturnes du duo au Conservatoire Royal de Bruxelles.
J’espère pouvoir suivre le tournage à venir avec le groupe Soledad. Si toute fois il n’avait pas lieu, je propose de baser cette partie de mon travail sur une série d’entretiens avec le réalisateur au sujet de sa dernière expérience de travail avec le duo de pianistes. Je souhaite aborder avec lui la démarche qui les a conduits au choix des œuvres interprétées ; la méthode de travail qu’il a adoptée en tant que réalisateur et musicien qui connaît la musique ; les choix de l’écriture filmique dégagés à partir de l’analyse de la musique ; l’implication du dispositif sonore, filmer l’image pour le son et la musique ?
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[1]« Prescriptive and Descriptive Music Writing » Musical Quarterly, XLIV (2) : 184-195. 1958
[2] «Transcrire ou décrire? Chant soudanais et chant fuégien», in Pierre Maranda & Jean Pouillon, eds., Échanges et communications. Mélanges offerts à Claude Lévi-Strauss pour son 60e anniversaire, Paris-La Haye, Mouton: 677-706. 1970
[3] « iAnalyse : un logiciel d’aide à l’analyse musicale » Pierre Couprie www.gmea.net juin 2007
[4] « Pour une écriture multimédia de l’ethnomusicologie » recherche.ircam.fr octobre 2003
[5] Entretien réalisé par Elsa Rieu et Yann Rocher. EHESS janvier 2009
[6] « Manières d’écouter des sons, quelques aspects du projet Ecoutes Signées (Ircam), Nicolas Donin. Texte issu d’une communication de la journée « Outils d’aide à l’analyse » colloque « Un siècle d’invention du son technologique. Ressources, discours et outils d’analyse » centre Pompidou octobre 2003
[7] « Une musicologie et son temps. Entretien avec Makis Solomos. Entretien réalisé par Hervé Bouley et Sara Iglesias.